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Après être resté ouvert pendant une minute environ, le clapet s’était refermé et de nouveau le tube était obstrué. Ce clapet agissait donc comme une valve commandée par un capteur de pression. Le salopard avait choisi ce système pour pouvoir remplir complètement le ballon à basse altitude, afin d’obtenir une force ascensionnelle maximale, Mouloud et ses collègues flics en avaient fait les frais, surtout Mouloud, tout en évitant son éclatement à la montée par la dilatation du contenu. L’officier pouvait-il rouvrir cette valve ? Et d’abord, cela servirait-il à quelque chose ? Car dès que le gaz n’est plus en surpression, plus rien ou presque ne sort même si la valve est ouverte. Pour dégonfler le ballon, il faudrait un trou au sommet, alors l’hydrogène beaucoup plus léger que l’air s’échapperait rapidement. Mais il ne faudrait pas non plus que l’ouverture soit trop importante, sinon gare à la chute. Mouloud commençait à fatiguer du cerveau presque autant que des biceps. D’autant plus que sa réflexion le menait au pessimisme. Car même s’il réussissait à faire un trou disons dans la moitié inférieure, celle-ci pourrait se vider largement mais il resterait toujours la moitié supérieure, où le gaz stagnerait et continuerait de porter les deux hommes à basse altitude. Quatre-vingts kilos de Président, il avait beaucoup repris, le pouvoir est adipeux, plus cent kilos de policier d’élite, essentiellement du muscle et de l’os par contre, plus vingt kilos d’enveloppe de ballon, cela faisait deux cents kilos hissés à plus de cinq mille mètres et que la moitié du gaz lèverait encore à mille. Mouloud hurla.

 

L’homme à l’air contrarié qui entra ne pouvait être que le directeur de la prison. Il n’avait pas d’uniforme, juste une expression faciale de porte de prison un jour de pluie, augmentée de l’embarras causé par les circonstances. Les deux serviteurs se serrèrent la main sobrement. Tous deux font le même métier, me dis-je, l’un est gardien-chef d’une prison avec des murs autour, l’autre est gardien d’un département sans mur autour mais ça ne change pas grand-chose. Car l’Etat de droit est en réalité une prison, continuai-je en mon for intérieur, juste que les pensionnaires ont tous pris perpète sans le savoir. Okay j’arrête, conclus-je, la psalmodiation anarcho-libertaire d’extrême-nulle-part, c’était bon quand j’étais en fac de droit, cela servait à draguer la gauchiste en général et mon ex-femme en particulier. Ayant divorcé des deux, gauchisme en peau de lapin et femme en pull bio et chaussures éco-responsables à trois cents balles, je pouvais passer à la suite et c’était maintenant que ça se passait. Ce furent les brodures dorées qui entamèrent le dialogue.

–          Monsieur le directeur, vous avez été informé, je pense, de la décision du président de la République par intérim concernant monsieur Heaulme ?

–          Je l’ai appris par la télévision, monsieur le préfet.

–          Très bien. Donc, pouvez-vous le faire conduire jusqu’ici ?

–          Je n’ai aucune instruction officielle à ce sujet.

On te dit qu’il faut un papier, ricanai-je sous cape. En tant que désormais ex-avocat, j’étais bien placé pour le savoir. J’avais plusieurs fois réussi à faire libérer des prévenus parce qu’il n’y avait pas le papier qu’il fallait, mais c’était de la petite racaille en détention provisoire donc le cas était très différent. Mais il ne fallait pas que ces histoires ne durent, car pendant ce temps-là le Président était en train de redescendre. Le compte à rebours de mon téléphone indiquait quatre mille huit cents mètres.

–          Il vous faut un mail de confirmation de la Chancellerie ?

–          Des mails me demandant la libération de détenus, monsieur le préfet, j’en reçois tous les jours.

–          Donc cela suffira.

–          La plupart de ces mails sont faux. J’ai en ce moment en pension une bande de voleurs à la tire roumains. Ils m’envoient cinquante demandes de libération par jour, je compte les fautes d’orthographe, ça me distrait.

–          Comment un mail peut-il être faux ?

–          Dans l’émetteur, il y a marqué justice point gouve point effère et en réalité ça vient de Moldavie.

–          Demandez par téléphone, alors. Si le directeur de cabinet du ministre a un accent roumain, vous vous méfierez.

–          Le téléphone peut se pirater aussi.

–          J’appelle la Chancellerie.

Le préfet était de ces hommes qui peuvent s’énerver profondément tout en restant très calmes. Il téléphona donc très calmement, après avoir navigué du pouce une bonne minute dans son répertoire de numéros. Je le regardais faire par-dessus son poignet, c’était toute la France du pouvoir, la prison dont les détenus s’ignorent et cetera desunt, qui défilait sur le petit écran. Le numéro sélectionné partit dans l’éther et nous étions quatre dans la piécette à écouter la lointaine sonnerie émanant du portable préfectoral.

–          Allo ? Thierry ? C’est Bernard. Tu peux me passer le ministre, s’il te plaît ?

 

Un grésillement retentit dans l’azur. Un moment, Mouloud crut qu’il s’agissait d’un avion. Un petit monomoteur tout près de son plafond d’altitude sûrement, d’après le bruit aigu. Mais autour il n’y avait que du ciel bleu et de la terre ocre. Où était-il d’ailleurs ? Peut-être que le portable du Président avait une appli de géolocalisation qui montrerait un point sur une carte, à l’angle de rue du Général Schmidt et de la rue des Fleurs ou plutôt six mille mètres au-dessus de ce point, ça n’avait guère d’importance. En bas, les montagnes avaient laissé la place à une plaine de cultures sortant du repos hivernal, s’étirant entre de petits bois d’arbres encore effeuillés. Le grésillement persistait sans qu’il n’y eût d’avion. C’était le petit bloc bleu au flanc du tube, le servomoteur contrôlant la valve. Le policier regarda à l’intérieur. On percevait comme un clignotement noir-blanc-noir-blanc. Tout de suite Mouloud comprit. La valve tournait. Elle tournait comme un anémomètre dans un petit vent. Pourquoi tourne-t-elle, se dit aussitôt Mouloud, est-ce normal ou est-ce que ça déconne ? Si en plus les terroristes sont nuls en bricolage, c’est à désespérer d’être flic. Mais ce doit être normal, c’est toujours ce qu’il faut se dire a priori. Il vit un fil s’agitant à contre-jour entre les parois de PVC. Alors Mouloud s’écarta autant qu’il put du tube pour tenter d’apercevoir quelque chose à l’intérieur du ballon. Il vit comme une feuille morte tomber du haut de la sphère et se poser sur les flancs inférieurs. C’était une pièce circulaire de mylar, d’environ dix centimètres de diamètre, que le fil, en s’enroulant autour de l’axe de la valve, venait d’arracher de la calotte supérieure du ballon.

 

Le préfet expliqua le problème en quelques mots à son copain de promo de l’ENA. Ces gens sont formés aux procédures complexes mais ils savent aussi faire vite quand on les tisonne aux fesses et que l’intérêt supérieur de l’Etat, en l’occurrence la vie de son chef, est empêtré dans un compte à rebours d’altitude décroissante. Donc, comme le ministre avait une nuée de journalistes à antenne satellite au pied de ses bureaux de la place Vendôme, le plus simple était que le ministre soi-même fît une déclaration publique. Alors nous allâmes dans le bureau du directeur car il y avait une télé, et j’en profitai pour envoyer mon douzième mot de passe anti-explosion, hypofibrinogénémie, celui-là il ne fallait pas se tromper en le tapant, d’autant moins que le Président était encore à quatre mille deux cents mètres et qu’il fonçait plein nord en direction de Prague. En arrivant dans le bureau, nous vîmes que la télé était déjà allumée et branchée sur un programme de dessins animés pour enfants. Le titulaire des lieux prit la zapette pour mettre sur I-Télé, qu’on appelle toujours comme ça alors qu’elle s’appelle maintenant Canal News pour bien rappeler qu’elle appartient à Bolloré.

–          Le ministre va faire une déclaration, monsieur le directeur, dit le préfet.

–          J’en suis fort aise, monsieur le préfet, répondit le directeur.

Quelques minutes plus tard, cela s’agita sur le plateau de la chaîne. Nous rejoignons la place Vendôme où nos équipes sont sur place. Si la greluche avait dit : « Nous rejoignons la place Vendôme, où nos équipes sont ailleurs », ce n’aurait pas été logique, me dis-je. Dans la cohue d’une annonce de prix Goncourt, le ministre apparut derrière un buisson de micros.

–          Pour satisfaire les exigences des ravisseurs du président de la République, monsieur le président du Sénat, président de la république par intérim, a prononcé la grâce du détenu Francis Heaulme. Celui-ci sera donc libéré dans les plus brefs délais et aussitôt libre de ses mouvements. J’invite donc tous les personnels, en particulier de l’administration pénitentiaire, à tout mettre en œuvre pour faciliter l’opération. En ces temps où notre pays traverse une rude épreuve….

Le reste n’était que du bla-bla que le politicien nous infligeait pour soigner son image d’homme d’Etat ou faire passer le suppositoire un peu trop gros, le contenu informationnel était déjà sorti et c’était tout ce qui nous importait.

–          Vous êtes convaincu, monsieur le directeur ? Vous pensez que c’est un sosie et que c’est tourné dans un studio à Bucarest ?

–          Ce doit être le vrai et je reconnais la place Vendôme, j’y vais de temps en temps pour des réunions. Mais nous sommes formés aux procédures.

–          Moi aussi j’ai été formé aux procédures.

C’était comme à la belote, une carte contre une autre, le directeur avait jeté la sienne sur le velours, un sept de trèfle d’école nationale supérieure des directeurs de prison, un truc obscur qui doit se trouver à Châteauroux ou à Limoges, et le préfet avait abattu son valet d’atout, j’ai fait l’ENA et je t’emmerde, et il ramassa le pli.

–          C’est bon, j’ordonne qu’on amène le détenu.

 

Le problème que voulait résoudre Mouloud s’était donc résolu de lui-même. Il fallait un trou dans la partie supérieure de l’enveloppe pour que l’hydrogène s’échappe, et voilà que c’était fait. Les terroristes avaient donc commandé la descente du ballon, à moins que ce ne fussent les Services qui auraient réussi à pirater le système. Une négociation avait dû avoir lieu, dont le policier ignorait tout. Devait-il appeler pour demander des instructions ? Il prit le téléphone présidentiel dans sa poche intérieure et fixa l’écran : pas de réseau. Mais qu’aurait-il pu faire à part attendre là, accroché comme un imbécile ? Déjà il lui semblait que le ballon se dégonflait légèrement, l’enveloppe semblait moins tendue qu’un quart d’heure auparavant. Donc attendre un atterrissage qu’il espérait proche, car ses biceps lui faisaient de plus en plus mal. Il essaya de se retenir par un seul bras afin de reposer un peu l’autre mais la douleur du bras porteur devenait alors trop forte. Et quand il voulait poser son poids sur ses pieds en serrant fortement le câble entre ses chevilles, la plaie saignante sous les chaussettes se rappelait à son souvenir. Enfant, il avait vu au cirque une acrobate se tenir à un câble par les dents. Mais elle avait une pièce de cuir spéciale dans la bouche. Mouloud essaya quand même. Il inclina la tête pour mordre dans le faisceau de nylon puis lâcha un peu ses bras. Le fil lui entailla la commissure des lèvres, il hurla et sentit aussitôt son quintal revenir dans ses bras.

 

J’avais vu l’homme aux actualités ou en photo sur des sites spécialisés dans les affaires criminelles. Mais on gagne toujours à voir en vrai les gens qui règnent dans le monde des images, ça nous évite la submersion par l’univers signalétique total que dépeignait au siècle passé Jean Baudrillard dans un langage lui-même très irréel. Bref, le gars entra entre deux gardiens et nous dévisagea d’un air incontestablement patibulaire. Nous étions toujours dans le bureau du directeur, à part que nous avions éteint sa télé. Avant que le tueur n’entrât dans la pièce, le préfet avait demandé au directeur si l’intéressé avait été mis au courant de sa sortie prochaine. La réponse du taulier fut que non, et qu’en plus l’homme avait été mis au mitard trois jours avant pour avoir une nouvelle fois tenté d’étrangler un gardien donc il ne pouvait pas avoir été informé par les autres détenus. Mais pour le faire sortir de sa cellule isolée, on lui avait dit qu’il allait voir un juge. Le directeur nous expliqua que tous les deux-trois ans, on véhiculait le multi-condamné vers un palais de justice pour une nouvelle affaire de meurtre non élucidé. Heaulme adorait ces voyages, ça le distrayait en plus de lui donner l’occasion de causer de lui voire de se vanter.

–          Bonjour monsieur le juge.

Heaulme venait de s’adresser à moi et me prenait donc pour un juge, puisqu’on lui avait dit qu’il en verrait un. Il ignora au passage le préfet dont il ne reconnaissait sans doute pas l’uniforme, même qu’il devait le prendre pour une sorte de greffier ou peut-être même pour mon chauffeur. Mais la susceptibilité des feuilles de chêne était une chose secondaire, la chose grave était qu’aucune épreuve ne m’aura été épargnée au dernier jour de ma vie d’avocat en France. Batailler quinze ans contre cette engeance pour qu’à la fin je sois pris pour l’un d’entre eux, quelle avanie, quelle déchéance. Qu’à cela ne tînt, je n’avais pas fait tout ce chemin pour combattre la confusion mentale d’un meurtrier qui a tué plus de gens qu’il n’aurait eu de bonnes réponses à un test de QI pour enfants de huit ans, il fallait passer à la suite et ce fut le préfet qui m’en donna l’occasion, aussi parce qu’il voulut reprendre un peu de poil de la bête de la situation.

–          Que faisons-nous maintenant ? demanda le festonné.

–          Nous retournons à la voiture, enchaînai-je.

Tous les trois nous prîmes congé de notre hôte par des poignées de main à notre style, formel pour le préfet, broyeur de phalanges pour Heaulme et reconnaissant pour moi-même. Je me dis que je n’avais jamais dû serrer la main d’un directeur de prison avant mais je n’en étais pas sûr. Une fois dehors à la voiture, le préfet fit signe à son chauffeur et aux motards qui papotaient puis se tourna vers moi.

–          Où allons-nous ?

–          A l’aéroport, répondis-je sobrement.

–          A Blagnac ! ordonna le préfet à ses sbires.

 

Le dégonflement du ballon se confirmait. Mouloud pouvait constater que des plis se formaient dans l’hémisphère inférieur, là où une demi-heure avant, la membrane était lisse comme un ballon de baudruche. Mais il ne pouvait évaluer la perte d’altitude car il y avait maintenant des nuages sous lui. Sous eux devrait-il dire, car il en avait presque oublié le président de la République toujours pendu du bras droit trois cents mètres plus bas. En tout cas cela lui paraissait d’une lenteur exaspérante. Cela lui rappelait ses sorties en vélo pendant ses jours de permission. Quand survient une crevaison lente, dont on sent bien qu’elle progresse au passage des cahots de la route. Alors il se demandait s’il valait mieux s’arrêter pour réparer ou s’il pouvait encore rentrer sur le pneu à moitié gonflé. D’ailleurs Mouloud ne savait pas pourquoi il pensait à une crevaison en vélo juste en ce moment, car ça n’avait pas grand-chose à voir. Peut-être aurait-il préféré un éclatement brutal, comme quand un bord acéré de nid de poule déchire la chambre à air par effet de coup de bélier. Ses bras, ses jambes, son dos, ses pieds et ses mains lui faisaient infernalement mal mais il ne fallait pas souhaiter que cela finisse comme ça. Ce fichu ballon prendrait son temps pour descendre, et Mouloud attendra ce qu’il faudra.

 

Au son des sirènes des motards de l’escorte, nous arrivâmes en vue de l’aéroport. Le préfet, le tueur et moi avions pris tous les trois place à l’arrière alors qu’il y avait une place libre devant à côté du chauffeur mais personne n’en avait voulu. Le résultat était que nous étions serrés comme des détenus en maison d’arrêt, à huit dans quatre mètres carrés, car en plus nous sommes tous les trois assez grands. Le préfet était monté à l’arrière droit comme à son habitude, puis j’avais invité Heaulme à s’installer au milieu par la portière gauche puis j’étais monté derrière lui. Heaulme avait l’habitude de voyager ainsi en position centrale arrière et n’émettait aucun signe, juste que parfois il tordait le cou pour voir un peu le paysage.

–          On vous dépose à quelle porte ? s’enquit le préfet par-dessus la nuque du condamné.

–          Euh, fis-je, vous pouvez aller jusque sur le tarmac avec la voiture ?

–          Ne me dites pas que vous voulez emprunter l’avion du Président, ça va pas être possible.

–          Ne vous inquiétez pas, j’ai déjà ce qu’il faut.

–          Comme vous voudrez, on va essayer de passer au gyrophare et au culot.

Le chauffeur parla brièvement à l’un des motards par la fenêtre, ensuite nous passâmes devant les terminaux dans leur ordre antialphabétique pour enfin tourner dans une allée discrète défendue par une barrière rouge et blanche de vieux passage à niveau. Un gardien sortit de sa cahute, par le bruit des pimpons réveillé. Le chauffeur lui désigna l’uniforme de son maître et le gardien ouvrit la barrière. Nous avançâmes alors dans un parking d’engins de pistes, de conteneurs et de déchets divers.

–          Avancez sur les pistes, je regarde s’il est là, dis-je en scrutant.

–          Vous cherchez quoi au juste ? interrogea le préfet.

–          Un avion. Avancez encore un peu, chauffeur, s’il vous plaît.

–          On ne se balade pas comme ça en voiture sur un aéroport public.

–          Avancez encore, peut-être derrière les Airbus là-bas.

Nous tournâmes quelques minutes le long de lignes jaunes peintes au sol pour les bagagistes. Juste sur la gauche se tenait le Falcon à dérive tricolore avec écrit REPUBLIQUE FRANÇAISE au-dessus des hublots. Le préfet eut un spasme à la vue de cet avion. Il aurait dû, il y a quelques heures à peine et si tout s’était bien passé c’est-à-dire si je n’avais pas été là, raccompagner son Lui-Président jusqu’au pied de l’escalier en faisant un garde à vous digne d’une promotion. Or il était probable que l’embarquement au même endroit du plus grand criminel français de l’après-guerre n’allait rien lui rapporter voire allait lui coûter. Juste un dégât collatéral, une bombe sur une usine qui tue un passant sur le trottoir, l’homme était sympathique, je lui enverrais une carte de vœux pour le Nouvel An.

–          Là ! A droite, derrière le sept cent trente-sept British Airways !

 

Il semblait à Mouloud que le vidage du ballon n’avançait plus. Il devait y avoir une légère surpression au départ donc ça allait assez vite, mais maintenant ça n’évoluait plus guère. Il ne tiendrait pas encore des heures. Pouvait-il accélérer le débit ? Faire un trou à la base, maintenant que l’enveloppe n’était plus tendue et que donc le risque de déchirement avait diminué ? Pour permettre au gaz léger de sortir par le haut, il fallait faciliter l’entrée d’air par le bas mais comment ? Le policier regarda par le trou inférieur du tube. La valve était de profil, on voyait un petit rond de ciel bleu loin au-dessus. Mouloud inspira un grand coup puis souffla dans le tube à s’en vider les poumons. Trois litres, peut-être quatre toutes les dix secondes, vingt litres par minute, un mètre cube par heure, ce n’était pas beaucoup mais c’était déjà mieux que rien. Il inspira de nouveau, souffla de nouveau dans le tube, inspira, souffla, inspira, souffla, inspira, souffla.

 

L’avion privé de monsieur Li était aisément reconnaissable car il avait été décoré pour cela. C’était d’ailleurs un Falcon du même modèle que celui que la république de France prête à ses camarades dirigeants. Sauf qu’il avait coûté beaucoup plus cher en peinture. Pour faire synthétique, l’on voyait un corps de dragon très long, comme ceux que des dizaines de servants font zigzaguer dans la rue au Nouvel An chinois, s’enrouler autour du fuselage par bâbord et tribord avant que la tête ne réapparaisse sur la dérive, crachant des flammes en roulant de gros yeux furieux. On aurait dit que la bête voulait contribuer à la poussée des réacteurs par ses crachats de félin de l’enfer. La fresque scintillait de rouge et d’or au soleil du printemps toulousain, voyante et banale comme un restaurant chinois dans un village du Rouergue. Notre convoi s’approcha de l’engin au nez et à la barbe de la tour de contrôle, on leur demanderait le droit plus tard aux fins de conformité à la réglementation des aéroports.

J’avais rencontré monsieur Li en Chine une dizaine d’années plus tôt. Pour situer sur la carte, nous avons fait connaissance sur les bords du lac Lugu, à la frontière du Yunnan et du Sichuan et à deux mille sept cents mètres d’altitude au-dessus de la fournaise qu’est Chengdu au mois d’août. Par le biais de rencontres de hasard, nous nous étions retrouvés commensaux autour d’un barbecue de charbon de bois encastré dans une table de pierre comme c’est une spécialité du coin, un peu comme dans un restaurant coréen du côté de l’Opéra dirait un Parisien que les milliers de kilomètres de distance ne dissuadent pas de faire des comparaisons. Nous faisions griller les viandes qu’on nous apportait tout en devisant le temps que ça cuise. En Chine on n’est jamais tout à fait sûr de l’espèce animale qu’on mange mais c’était bon quand même, et les épices à faire pleurer et le gros rouge qui tache de marque Great Wall faisaient passer le tout dans la convivialité, la bonne humeur et la fumée. L’originalité de la situation était que monsieur Li parlait le français. Disons que quand on arrivait à le comprendre, on découvrait qu’il employait une langue très châtiée, quelque chose entre Pascal Quignard et Pierre Combescot. Ce qui rendait sa compréhension encore plus difficile car il fallait chercher profond dans les dictionnaires pour trouver les mots correspondants aux phonèmes que sa diction de Chinois enthousiaste et de plus en plus bourré lui faisait émettre.

En fait, je voulais au départ juste me taper sa sœur. Une frimousse à nez retroussé sous des cheveux de jais, des mirettes immenses sous des cils palpitants, et un corps ondulé dans une robe jaillie d’une publicité pour China Southern Airlines, une puissante invitation pour un aller simple au septième ciel et je m’efforçais depuis deux jours d’obtenir la carte d’embarquement. En plus elle parlait très bien le français, c’est-à-dire qu’on la comprenait bien mieux que son frère et qu’en plus elle pouvait dire des choses intéressantes, même si son regard de braise faisait disjoncter toute réflexion sur ses propos. Le frère et la sœur visitaient ensemble le Sichuan et logeaient dans un hôtel tape-à-l’œil comme les aiment tant les Chinois, sur une petite presqu’île de la rive nord, tandis que j’avais échoué dans un dépôt de routards en planches de bois à peine rabotées situé à quelque centaines de mètres d’eux et sur une plage de sable un peu boueux comme toujours au bord des lacs.

Notre repas avançant, je finis par classer Li dans la catégorie des francophiles désuets, de ceux qui abondaient au XVIIIe siècle avant que la source ne tarisse. Il avait appris le français, tout sauf la prononciation, au lycée de Shanghai puis avait fait des études de droit en Chine avant de faire une année à la faculté d’Assas à Paname. Le résultat en fut un mémoire sur la pratique de la Question ordinaire et extraordinaire sous l’Ancien Régime, dont le souvenir alimentait le discours du Chinois de nombreuses références à Mandrin, Damien ou Cartouche. Je me dis brièvement en retournant une brochette que c’était le jury du mémoire qui devait avoir subi un supplice à décrypter la prosodie exotique du candidat. Toujours était-il qu’il décrocha son mastère et retourna en Chine pour se lancer dans les affaires.

Comme je voulais me débarrasser de lui pour retourner sur la sœur assise à trois places de moi, je ne lui dis pas tout de suite que j’étais avocat. Mais quand il l’apprit, il explosa de joie et recommanda quatre autres bouteilles de Great Wall pour la tablée. Il me questionna longuement sur mon métier et je dus embellir car je n’avais eu pour client ni régicide ni chef de bande criminelle à plusieurs milliers de membres. A la fin du repas, j’étais devenu son plus grand ami et dus pour la peine faire un concours de ganbei avec lui, cul-sec en français, consistant à vider à la chaîne de petits verres remplis d’un épouvantable alcool blanc de prune que même l’industrie chimique chinoise doit considérer comme une substance dangereuse. Tout cela était loin mais revenait aisément à ma mémoire. Notre voiture s’arrêta le long de l’avion, du côté de l’échelle de coupée déjà descendue.

 

Penser à faire détartrer le chauffe-eau. Cela faisait au moins un an que Mouloud s’était dit qu’il fallait le faire, à l’occasion d’une conversation avec le maître d’hôtel de l’Elysée qui lui avait expliqué que du tartre se formait sur la paroi intérieure et que cela abîmait l’appareil en plus de détériorer ses performances. Au Palais, ils avaient fait appel à un plombier trouvé dans les Pages Jaunes, depuis que le plombier précédent était parti faire le djihad en Syrie. Et un agent des Services avait surveillé le gars tout le long de son travail, au cas où il lui serait venu l’idée de placer un micro à l’intérieur du chauffe-eau, qui peut-être aurait pu enregistrer bien des choses par la circulation des sons le long des tuyauteries. C’était assez simple en fait. Quand on ne veut pas tout démonter, il suffit de tapoter les parois avec un marteau enveloppé dans un chiffon, ça fait tomber la couche à l’intérieur et elle est emportée vers l’aval. Mais si Mouloud ne l’avait pas déjà fait, c’était aussi parce qu’il envisageait de remplacer le chauffage tout électrique de son pavillon par un chauffage central au gaz, bien moins cher à l’usage mais avec un coût d’installation élevé. Or il se disait aussi que peut-être ils déménageraient bientôt s’il obtenait un poste dans une ambassade. L’hiver dernier n’avait pas été trop rude donc la facture EDF était restée raisonnable, même si ça faisait dans les quatre cents euros tous les deux mois. Mais s’il installait le gaz, cela pouvait aussi augmenter la valeur de revente du pavillon, avec sa femme ils hésitaient. Bobonne aimait la chaleur mais craignait le gaz, elle pensait que c’était dangereux, donc il y avait un dilemme. Les longues soirées d’hiver au coin d’un poêle irradiant, cela aurait son charme, alors qu’avec le chauffage électrique, ils étaient limités à dix-huit degrés maximum. D’ailleurs déjà Mouloud avait moins froid, preuve supplémentaire que le ballon descendait.

 

Les adieux en pied de passerelle furent émouvants. Nous étions le chauffeur, le tueur, le préfet, deux motards en bleu au pied de leurs motos, l’hôtesse de l’air de l’avion de monsieur Li et moi. Heaulme contemplait l’aéronef en hochant la tête avec emphase sur les moyens mis à sa disposition. Il sifflotait d’aise d’être à ce point choyé par un système judiciaire auquel il avait déjà tant coûté. Les motards le surveillaient les mains sur le ceinturon, prêts à le plaquer au sol s’il faisait un écart. On avait dû leur dire que l’homme était désormais libre de toute poursuite, mais qu’arriverait-il si le gracié commettait un nouveau crime là tout de suite ? L’hôtesse de l’air m’inquiétait tout particulièrement. Elle ressemblait à l’actrice qui jouait dans Epouses et Concubines, celle qui se fait trucider à la fin pour avoir couché avec le docteur, comment s’appelait le personnage déjà ? Ah oui, Meishan. Bref elle était canon, en plus elle avait le même genre de robe fuseau rouge que la maîtresse dans le film. Heaulme, bien que probablement impuissant, avait quand même tué quelques femmes dans sa carrière donc il pouvait recommencer. Certes, tant qu’il y avait les deux flics on ne craignait rien, et puis si jamais l’homme tentait d’étrangler l’hôtesse, le préfet éteindrait la procédure illico d’un claquement de doigts, mais une fois dans l’avion ? Je n’avais pas pensé à ce détail. Les criminels n’étaient pour moi que des clients, je n’avais jamais imaginé que j’aurais un jour à me protéger physiquement de l’un d’eux. Bon, on verrait le moment venu, entre les deux pilotes et moi on arriverait à gérer.

–          Que faut-il vous souhaiter, monsieur Ferry ? me demanda le préfet.

–          Un bon voyage assurément, répondis-je.

–          Vous allez loin ?

–          Oui.

–          Comprendrai-je un jour ?

–          Si j’écris un livre, je vous enverrai un exemplaire dédicacé. Sinon, il est fort possible que personne ne sache jamais.

–          Vous êtes un esthète, il n’y a sans doute rien à comprendre.

–          Vous avez raison, la beauté s’apprécie sans discours.

Les keufs firent signe à l’ex-condamné de monter dans l’avion, Heaulme s’exécuta en se baissant bien pour passer la porte. La jolie Chinoise rouge me fit signe à son tour, c’était beaucoup plus engageant et j’emboîtai le pas au monstre. Elle monta à ma suite et referma la porte derrière elle.

 

Il y avait aussi le problème du toit qui fuyait. C’était beaucoup plus embêtant que le chauffe-eau. Ça fuyait par les tuiles du faîte donc c’était toute l’isolation en soupente qui prenait l’humidité. Le pis-aller aurait été de mettre simplement quelques plaques de zinc par-dessus l’arête, quitte à en torcher un peu la fixation, juste pour éviter que la laine de verre ne pourrisse, mais ce n’aurait pas été très beau et surtout difficile à présenter à un acheteur. Donc la solution durable était de changer ces tuiles faîtières mais là ça coûtait bonbon. Donc les pièces aménagées sous le toit resteraient humides, donc on en était à gratter régulièrement le moisi sur le plâtre pour longtemps encore. L’humidité est un problème insidieux. C’est aussi ce qui rend les fils de nylon glissants, car Mouloud venait d’entrer dans un nuage.

 

Nous étions tous attachés, l’avion pouvait décoller. Heaulme avait pris place à droite du couloir, j’étais à gauche et un peu en retrait, tandis que l’hôtesse s’était sanglée face à nous sur son siège spécial et dans le sens contraire à la marche. Au contraire des avions de lignes de nos jours, les pilotes avaient laissé la porte du cockpit ouverte donc on pouvait voir leurs manches galonnées posées sur les manettes de réacteurs au nombre de trois. On entendait bien leurs échanges avec la tour de contrôle, anglais canard laqué répondant à anglais cassoulet. Au roulage se superposaient dans mon esprit les petits seins ceinturés de l’hôtesse et le souvenir des événements qui m’avaient conduit jusque-là. Je trouvais la fille vraiment mignonne, et d’autant plus que je m’étais entièrement consacré à la tâche de libérer ce grand fou furieux assis devant moi, jours et surtout nuits depuis plus d’un an. A l’arrière de la cabine, il y avait une piécette avec un grand lit, ce serait vraiment bien avec l’hôtesse mais avec Heaulme devant ça n’allait pas le faire.

J’avais revu monsieur Li la dernière fois à Paris au mois de mars de l’année précédente, donc une treizaine de mois en arrière. Depuis notre première rencontre de beuverie au lac Lugu, nous nous étions vus une ou deux fois par an, le plus souvent à Paris mais aussi à Shanghai, Toulouse ou Rocamadour, village qu’il adorait sans que l’on ne comprît pourquoi. Sur cette dizaine d’années, monsieur Li avait fait fortune dans le commerce. Il importait des choses d’Afrique vers son pays, et son pourcentage de Chinois madré multiplié par les volumes de la Chine en croissance à deux chiffres lui avaient assuré une bonne place dans le classement des nouveaux milliardaires asiatiques. Mais on sentait chez lui une frustration de n’avoir pas fait ce qu’il aurait voulu faire, le genre Bernard Tapie chantant J’aurais voulu être un artiste si l’on osait une comparaison dénigrante. Dénigrante car Li était beaucoup plus riche que Tapie ne l’a jamais été, avec ou sans argent public, même s’il chantait encore plus mal. Donc il se passionnait toujours pour la chose judiciaire, pour des affaires se passant hors de Chine Populaire car à l’intérieur il valait mieux ne pas s’en mêler. Nous avions un peu évoqué l’affaire Bo Xilai, mais même sur la terrasse de son vaste pied-à-terre parisien de l’avenue de Suffren avec vue sur la tour Eiffel bien sûr, il n’en parlait qu’en chuchotant. Et puis ce qui l’intéressait vraiment, c’était les criminels dégoulinants de sang et de bave, pas les affaires politiques.

L’avion décolla. Donc ce soir-là de mars, il faisait beau sur la terrasse et la tour Eiffel scintillait car il était vingt-deux heures zéro une. Li régalait quelques comtesses et plumitifs parisiens mais ces gens l’ennuyaient donc il était sorti pour fumer un cigare et regarder la grande pagode de fer darder de ses diodes lumineuses made in China. Il voulait aussi me parler seul à seul me semblait-il. Le sujet du moment, que nous avions épuisé en cours de repas avec les comtesses, était naturellement l’élection présidentielle française imminente. Mais la politique l’ennuyait également, il ne voyait guère l’intérêt de procéder à des votes pour départager des candidats qui de tout façon sont d’accord sur l’essentiel et ne disputent que du futile en se fichant tous autant du long terme. Alors que dans son pays, les membres du Bureau Politique sont tous milliardaires et donc se soucient de la pérennité de leur fortune pour eux-mêmes et leurs enfants et, donc encore, de l’intérêt à cent ans de la Chine. Je ne pouvais guère lui donner tort sur ce point, et en retour de phrase je ne cachais plus guère que j’envisageais de voter pour la pitbull enragée, non par adhésion à son programme inepte mais juste pour me venger de tout le mépris encaissé par l’électeur moyen. Li approuva mollement, les notions de gauche et de droite extrême ou non n’ayant aucun sens concret pour un Chinois au vingt-et-unième siècle, puis nous passâmes le sujet présidentiel car il voulait me parler d’autre chose. Pour faciliter la compréhension, j’ai traduit dans le dialogue suivant son français chinois en français français.

–          Il n’y a qu’une catégorie d’hommes que j’admire, lança-t-il en tirant une bouffée de son gros cigare.

–          C’est déjà beaucoup, répondis-je.

–          Ce sont les grands criminels, les tueurs au hasard de préférence.

–          Pourquoi donc ? Ce sont d’abord des lâches, ou des paresseux. Si au moins ils s’en prenaient à une cible difficile, comme Lee Harvey Oswald ou Claus von Stauffenberg.

–          C’est vrai que leurs cibles sont faciles à atteindre. Mais pourtant il n’est pas facile d’être ce qu’ils sont. Pour ma part j’en serais incapable.

–          Tu aurais tout à perdre.

–          J’y gagnerais un plaisir très intense sans doute. Ponctuel et fugace certainement, ajouta-t-il en pouffant du havane. Mais faute de tuer moi-même, j’aurais aimé défendre aux assises l’un de ces criminels. D’ailleurs je pourrais plaider en France, j’ai déjà le mastère, il n’y a plus qu’à passer le CAPA.

Pour ne pas laisser voir mon hilarité, je me tournai vers la tour Eiffel et vit l’instant précis où les diodes s’éteignirent. Je me figurai la scène où Li plaiderait, avec son air de Bouddha grassouillet virevoltant dans la robe noire. Et surtout avec sa terrible diction. S’il défendait un voleur de pommes aux assises, pour peu que cela arrivât, il ne faisait aucun doute que son client serait condamné à être roué vif, quand bien même le jugement serait ensuite cassé par la cour du même nom puisque le supplice de la roue n’avait plus cours légal. Chez les gens non habitués, l’effort pour comprendre Li conduisait presque toujours à des envies de meurtre.

–          Il y a chez tout avocat une étrange jouissance à faire acquitter un meurtrier avéré, répondis-je rêveusement.

–          Exactement, Max, exactement. On fait triompher la procédure, la dialectique, la psychologie, le sophisme, bref on fait triompher le droit au service de la bestialité.

–          Mais tu n’aiderais pas un prisonnier à s’évader, par exemple, comme l’on fait certains collègues dans le temps.

–          J’ai aidé quelques personnes à sortir de Chine, parce qu’il valait mieux qu’elles ne restent pas, mais ce n’est plus un rôle d’avocat. Mon pays est encore très loin d’être un Etat de droit.

–          Parfois la procédure fatigue.

–          J’imagine. Toi, Max, il faut que tu te trouves une grande affaire pour faire décoller ta carrière. Tu t’emmerdes, avec tes voleuses de supermarché.

–          Je n’ai pas que ça. C’est vrai que je t’ai raconté, la fille qui se fait pincer tous les trois mois depuis dix ans. A chaque fois elle fait appel à moi, avec l’aide juridictionnelle bien sûr, c’est presque devenu une rente, et quand une des ses copines se fait chopper à son tour, l’affaire est pour moi encore. J’ai un bon bouche à oreille chez les voleuses de rouge à lèvres. Ça s’est même transformé en bouche-à-bouche avec l’une d’elles.

–          Alors que certains de tes collègues bien moins talentueux ont un bon bouche à oreille chez les patrons du CAC 40. Si les affaires ne viennent pas à toi, il faut que tu extirpes un vieux dossier de la poussière et que tu relances l’affaire.

Je mis cinq secondes à comprendre le mot extirpes dans le système phonologique de mon ami chinois. Bon, j’avais compris, il fallait que je relance l’affaire Boulin, ou Ben Barka, ou les tueurs fous du Brabant, ou l’accident de Lady Diana, ou que je prouve que Dupont de Ligonnès a été enlevé par des extraterrestres.

–          C’est plus simple que tu ne croies, le succès, continua Li. Regarde, moi….

Il fit un signe en direction des portes-fenêtres donnant sur le salon doré où ses convives se piquaient la ruche avec ses champagnes millésimés.

–          Bon, je sais ce qu’il me reste à faire : prouver que Francis Heaulme est victime d’erreurs judiciaires à répétition.

–          Mieux que ça : ne rien prouver du tout mais le faire libérer quand même. Tu découvres une erreur de procédure le jour de son arrestation, à Bischwiller en Alsace en 1992 si ma mémoire est bonne, et tu le fais libérer par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

–          Et je me fais haïr par la France entière.

–          Ça ce n’est pas grave. Et ce ne sera pas la France entière, ce sera toute la France sauf les patrons du CAC 40.

–          C’est impossible de faire libérer Francis Heaulme.

–          Impossible n’est pas français, ni chinois non plus. Je te parie tout ce que tu veux que c’est possible.

–          Tu veux parier une bouteille de champagne ?

–          Tu vaux plus que ça, d’ailleurs tu en as déjà bu deux chez moi ce soir. Je te parie du fric, preuve que j’y crois.

–          Combien ?

–          Dix millions d’euros.

–          C’est une somme.

–          C’est ce que j’ai gagné cette semaine lors de mon séjour à Paris.

–          Dix millions d’euros si je fais libérer Francis Heaulme ? Par tous les moyens ?

–          Tous les moyens sauf l’évasion. Restons dans le droit chemin, et je ne veux pas que tu te fasses descendre par un gardien.

–          Dix millions d’euros si je fais libérer Francis Heaulme autrement qu’en le faisant évader ?

–          C’est cela, Max. Banco ?

–          Banco.

Notre avion acheva sa grande boucle en direction du sud. J’étais du bon côté pour voir la conurbation toulousaine s’étaler penchée sous ma fenêtre. Oôôô Toulouse, ô mon païs, avec son canal d’eau verte et ses briques rouges, mais Nougaro n’avait pas pu mentionner le nouveau palais de justice à l’époque de la chanson vu qu’il n’était pas encore construit, et puis les baveux ce n’était pas son genre. Toulouse adieu sans regret, adieu le déguisement de corbeau à gorge blanche, adieu les merci maître, adieu les baisers sur les rouges à lèvres volés, je crois qu’elle s’appelait Nathalie.

 

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