Great Balls of Fire

 

Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. Dieu fit disparaître tous les êtres qui étaient à la surface du sol, depuis l’homme jusqu’au bétail, aux reptiles et aux oiseaux: ils furent exterminés de la terre.

La Bible ( Actes des Apôtres 2-3 + Genèse 7-23 ).

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    L’idée m’est venue à la faveur d’un enterrement. Sans doute parce que les enterrements sont faits pour ça. Pour donner des idées aux survivants, de brièveté des choses, de vanité de l’existence ou de dépenses à faire avec l’argent de l’héritage. J’avais au demeurant très peu assisté à ce type de cérémonie dans ma vie, préférant la verdure des cimetières au décorum raide des rites funéraires. Lorsqu’on m’invitait, pour des amis ou des parents défunctés, je me faisais porter pâle ou prétextais une obligation professionnelle. Et puis je ne suis pas encore assez vieux pour ça, le rythme des proches tombés au combat de la vie s’intensifiera certainement dans les prochaines décennies donc je vais me laisser le temps de m’habituer très progressivement à ces événements, jusqu’au tout dernier, le mien.

    Celui qui m’inspira l’idée fut totalement fortuit. Je n’étais pas convié et ne connaissais pas le premier rôle hormis par les coupures de presse. Juste passais-je un matin devant l’église Saint-Sulpice à Paris sur la place du même nom située dans un quartier où les prix des loyers sont un supplice aussi. C’était un beau lundi au soleil et l’on expédiait une grosse huile de l’industrie pétrolière morte quelques jours plus tôt dans un accident d’avion, totalement accidentel ou partiellement seulement mais peu importe. L’homme aura poussé la conscience professionnelle et le patriotisme d’entreprise jusqu’à flamber plusieurs milliers de litres de kérosène dans son dernier souffle. De mon humble côté j’étais ce lundi-là en vélo donc ne consommant aucun produit pétrolier, ne faisant que filtrer avec mes poumons les particules émises par d’autres. Je vis qu’il y avait plein de monde et encore plus de flics sur et autour de la place donc je me garai hâtivement à un lampadaire pour m’enquérir de ce qui se passait auprès d’un autre badaud.

    Ce fut ainsi que j’appris qui l’on enterrait en si grandes pompes. J’aurais pu deviner car en plus il y avait le portrait du trépassé sur le fronton. Puis des photographes de presse m’apprirent aussi qu’il y avait dans la vaste église le président de la République en personne, son grand vizir de premier ministre, plein d’autres ministres français, des ministres du pétrole d’autres Etats dont même un émir gazier à moustache, plus l’aréopage habituel de célébrités que l’on voit aussi et juste habillés différemment à Roland-Garros ou à Courchevel. Tout cela expliquait le déploiement de forces de l’ordre établi et de barrières métalliques laides en travers de la place pour séparer le bon grain de l’ivraie. Opportunément, un vide se créa le long d’une des barrières, ce qui me permit de m’accouder à mon tour comme au champ de courses. J’étais idéalement placé, presque en face du portail. Des cloches sonnèrent pour annoncer la fin prochaine de la cérémonie. Ça commença à sortir.

    Il y avait effectivement tout le beau linge promis. A côté de moi des photographes mitraillaient tout en criant les noms, vieux truc pour obtenir que l’interpellé regarde l’objectif. Tout le CAC 40, tout le Top 50, des acteurs et des chanteurs dont on pouvait se demander ce qu’ils faisaient là, les médias dominants dont on savait ce qu’ils faisaient là vu l’actionnariat de leurs journaux respectifs, quelques inconnus qui devaient être des cadres du groupe pétrolier ou des membres de la famille. Je ne vis pas le président de la République ni son grand vizir ni son harem car ils sortirent par une porte de côté pour éviter qu’un concert de sifflets ne nuise à la dignité de la cérémonie. Le débit par le vomitoire s’acheva après une bonne demi-heure par la sortie du cercueil. Ils n’étaient plus alors que quelques-uns autour, enfants chics et femmes en noir, la famille qui suivrait le corbillard tandis que la masse de people s’était déjà égaillée aux meilleures tables du quartier. Je détachai quant à moi mon vélo et repartis vers là où j’allais une heure auparavant.

    L’idée ne me vint que dans les jours suivants. Trois-quatre jours plus tard, j’entrai à Saint-Sulpice débarrassée de sa horde. Je me souvins l’avoir déjà visitée des années en arrière, après avoir lu le Da Vinci Code qui fit un beau carton éditorial mondial. L’auteur avait bien gagné sa vie sans trop se fouler quant à la précision de la description qu’il faisait de l’église dans son roman. Ça n’avait aucune importance ni pour lui ni pour l’immense majorité de ses millions de lecteurs. Pour ma part je devais être aussi précis que possible. J’inspectai les lieux une bonne heure et repartis déçu.

    Le véritable début de toute l’histoire se produisit encore quelques jours plus tard dans la nef éternellement sombre de l’église de la Madeleine. Un temple grec récupéré par le catholicisme après avoir été conçu pour le maçonnisme, qui en tout cas et quel qu’en soit son usage présent ou futur, est totalement dépourvu de fenêtre à l’exception de quatre petits oculus dans le plafond. Ce qui vaut à l’endroit d’être éclairé en permanence par de grands lustres suspendus au bout de longs câbles jusqu’à environ six mètres du sol. Je m’assis sur une des chaises en paille près du chœur et inspectai l’éclairage le nez levé.

    Les lustres étaient en vieux bronze compliqué avec six globes lumineux émergeant sur le dessus et un septième plus gros que les autres pendant à la base. Du portail jusqu’à l’autel, j’en comptai quatorze en deux rangées de sept. Donc deux fois sept fois sept boules pour appuyer la magie du chiffre des jours où Dieu créa le monde, pause syndicale comprise, ou pour rappeler aux paroissiens tous les péchés qu’on peut commettre dans la semaine avant de venir se les faire pardonner le dimanche à la messe. A moins que tout cela ne représente les sept vertus catholiques bien que plus aucune d’entre elles n’ait cours aujourd’hui. Après quelques minutes de pensées vaines libérées par le calme de l’endroit, je finis par décider que chaque lustre matérialisait une vertu, elle-même porteuse des sept péchés capitaux qu’engendre la frustration de la pratiquer, le tout en deux rangées pour distinguer les hommes des femmes comme au temps où les fidèles étaient séparés par sexe pendant les offices, les hommes étant à droite et les femmes à gauche en regardant le chœur. Donc le luminaire sous lequel je m’étais assis devait être la chasteté, la grosse sphère de verre qui en pendait devait être la luxure et les six sphères le surmontant devaient être l’orgueil, l’avarice, l’envie et cetera dans un ordre quelconque, tout cela des femmes car j’étais dans la moitié à gauche de l’allée centrale. Devant moi sur ma droite trônait le courage réchauffant la paresse, précédant la charité soutenant l’avarice et ainsi de suite car j’avais oublié la liste complète depuis mes années de catéchisme du fin fond de l’Auvergne.

    Le retour à la réalité m’apporta une légère contrariété. Car la disposition des lumignons sur les corps de bronze posait problème. La sphère dirigée vers le bas semblait convenir mais c’étaient celles pointant vers le haut qui allaient me causer des difficultés. Et puis je ne parvenais pas à distinguer les systèmes d’accrochage des câbles de sustentation sous la voûte. Naturellement, ces lustres étaient faits pour être descendus près du sol à intervalles réguliers afin de changer les ampoules et d’épousseter les toiles d’araignées. Sauf que je ne pouvais pas savoir si l’opération était faisable par un homme seul ni si l’accès au dessus de la voûte était aisé. Et puis il y avait encore la question de l’instant opportun pour agir. Devais-je le faire tout de suite ou devais-je attendre ? Et à quels intervalles changeait-on les ampoules ? Ce devait être de ces nouvelles ampoules dites fluocompactes, censées durer autour de dix mille heures donc deux ans si elles fonctionnent la moitié du temps. En tout cas rien ne pressait mais comme toutes choses dans l’existence, on risque de ne jamais les faire si on ne s’y prend pas à temps. Je fis encore un petit tour d’inspection dans l’église, passai par différentes sorties situées sur le côté de la nef, revins par la galerie extérieure sous le péristyle ou périptère je ne sais jamais, retournai à l’intérieur pour jeter encore un coup d’œil aux lampes puis ressortis par l’entrée principale, d’où l’on sait depuis le Bel-Ami de Maupassant que l’on voit l’Assemblée Nationale dans la perspective de la rue Royale.

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    Une semaine plus tard je décidai de faire un tir à blanc. C’était une manière de tâter le terrain en prenant un minimum de risques. Repérer les lieux, évaluer la praticité de mes idées et faire quelques mesures précises tout en restant assez bas dans l’échelle du Code Pénal. La nuit venue, je me mis donc en route, un dimanche soir qui est une sorte de veille de week-end dans les professions catholiques.

  

La suite et le reste dans La Fin de l’âge du fer.