Un train pour Fontainebleau, un dimanche

Dimanche matin, j’ai rencontré une femme dans le train. Elle devait être anglaise ou américaine ou quelque chose dans ce genre car elle en avait l’air et aussi parce qu’elle lisait The Hundred-Foot Journey. Renseignement pris, il s’agit d’un roman à succès de 2010 se déroulant en France et raillant les idiosyncrasies locales. Elle était blonde vieil-argent au nez pointu et à l’air doux. Elle est montée peu avant le départ du train presque bondé où ne restait plus que deux dernières places, en face de la mienne, a posé tous ses sacs sur le siège devant moi et s’est assise sur celui d’à côté. Puis elle a commencé à coudre ( to sew, prononcez so, sewed, sewn ou sewed, cela m’a travaillé toute la journée jusqu’à tant que j’aie pu vérifier le soir en rentrant ). Cela lui donna un air de princesse médiévale à sa quenouille du plus bel effet. Un moment, elle mit la pin dans sa bouche pour arranger son travail. Bon, je sais, j’aurais pu me passer de cette grossièreté, qu’en plus pin est une épingle alors qu’elle tenait une needle, ce doit être le dépit.

Puis elle lut dans son livre, qu’elle avait presque terminé. Puis elle descendit à Bois-le-Roi ( et Bourg-la-Reine, okay j’arrête ) sans l’amorce d’un regard de ma part ou de la sienne, ou peut-être y eut-il une amorce d’amorce aussitôt désamorcée. Encore une brève vision d’elle sur le quai en cohue et la voilà disparue.

On devrait s’autoriser une fois dans sa vie à aborder une inconnue dans un train. Lui dire qu’on souhaiterait la revoir et cetera, l’improvisation ne peut être que catastrophique mais peu importe. Le problème est que les hommes qui font ça le font souvent tout en laissant croire à chaque fois qu’ils le font pour la première fois. Et que les femmes savent, même les plus blanches oies, qu’il en est ainsi, que le Love at first sight est en réalité un Sex at hundredth attempt, ce qui, je ne sais pas pourquoi, les dévalorise à leurs propres yeux et discrédite tout autant le tentateur. Donc il faudrait pouvoir fournir une garantie qu’on ne l’a jamais fait avant. Un genre d’appli pour smartphone que l’on activerait sur le moment et que l’on ne pourrait plus jamais réactiver par la suite, en tout cas plus sur le même téléphone voire pour le même numéro. Alors on dirait à l’élue, en exhibant son phone : « Regardez, c’est la preuve que je vous aime ». Bof, bonjour le romantisme, notre époque raffole de certificats mais ça ne sauvera pas le monde, et bonjour aussi la prolifération de faussaires.

Puis j’ai fait ma grande balade en forêt, d’une bonne trentaine de kilomètres, dans la partie sud où il n’y a presque personne même les jours de grand beau temps comme hier. Tout le long je pensais à la fille du train, et un peu à d’autres aussi qu’elle avait rejointes dans le cimetière des amours mortes et des possibles envolées.

Au retour par le Montargis Paris de 18 heures 30, j’imaginai, entre Fontainebleau et Bois-le-Roi donc, que je la reverrais, comme si l’amour était une variante de l’Euromillions. Cela dura logiquement et ferroviairement cinq minutes et bien sûr je ne la revis pas. Hypothèses en vrac : elle a pris un autre train, elle était bien dans ce train mais je l’ai ratée, elle était partie pour rester à Bois-le-Roi car son amant y habite, elle évite désormais les trains pour ne pas me revoir, non, ça ça va chercher un peu loin.

Bref, adieu ma blonde Anglaise à joli minois de belette, qui pique et coud dans les trains les dimanches, nous fîmes un petit journey à three feet l’un de l’autre mais c’était une distance infranchissable, pour le grand voyage tout contre vous je me contenterai de laisser fureter ma rêverie, et tant qu’à faire de lire à l’occasion le livre que vous lisiez pour au moins partager une chose avec vous.

( Encore une idée de site web à la noix : le livre que vous lisiez point com, où les gens sélectionnent un livre et indiquent les dates de début et de fin de leur lecture. Ceux qui les ont aperçus dans un lieu public et sont tombés raides amoureux les contactent par ce biais, en indiquant le lieu où ils les ont vus. Et il faudra aussi qu’ils lisent à leur tour le livre en question. Ça permettra au passage de marier entre eux les amateurs de Marc Musso et Guillaume Lévy, good riddance NDLR. )

Une nouvelle nouvelle d’ascenseur

Je me suis permis de rajouter une petite nouvelle issue de mes volètements du week-end, que même cela m’a fait ajouter sur la gauche un nouveau menu intitulé UpdQ, que j’espère fécond. S’y trouve la totalité du texte ( environ 6000 mots ), du début à la fin, sûrement provisoire, de l’histoire.