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Ce qui m’énerva vraiment, ce fut quand le gouvernement interdit les sombreros. Et en plus c’était prévisible et même visible de loin, le résultat d’un mouvement commencé quelques années en arrière. Et comme je ne portais jamais de sombrero moi-même, cela voulait dire que mon exaspération était plus ancienne aussi, donc je faisais bien d’analyser le phénomène d’une manière historique et rétrospective, ce que je fis un matin au réveil.

L’homme avait été réélu d’une manière aussi peu triomphale qu’il était possible mais il fut réélu quand même et c’était tout ce qui comptait pour lui. Certes il avait promis qu’il ne se représenterait pas s’il échouait à réduire le chômage, cette plaie nationale qui frappe si durement les jeunes, les femmes, les vieux et les cons aussi, mais heureusement il y eut le terrorisme, cette plaie mondiale qui frappe si durement les gens dont la peau n’est pas à l’épreuve des balles. Et là il pouvait agir, défendre notre grand pays de ses petits bras musclés et de sa chevelure d’un beau noir de jais, agir non pas pour éviter les attentats qui pourtant visaient des cibles parfaitement identifiées à l’avance par les services de renseignements, mais pour plastronner d’importance une fois qu’ils ont eu lieu et alors que les cadavres de gens quelconques tiédissent encore dans les tiroirs de morgues. Bref l’homme déclara se représenter pour lutter contre le terrorisme car lui seul pouvait le faire et cela ne mangeait pas de pain car lui seul aussi définissait ce que cette lutte impliquait.

Bref il fut élu une seconde fois, moins bien que la première puisqu’il fit douze pour cent au premier tour et cinquante et un au second, contre l’incontournable poissonnière énervée que le pays désirait comme on peut désirer une poissonnière énervée, par défaut et en dépit des effluves de poissons mais ça peut être bon quand même. Puis il nomma premier ministre son ministre de la police, ministre de la police son homme de main favori, nomma quelques femmes à des postes de femmes et la machine put se remettre en branle.

La lutte contre le terrorisme n’est qu’un avatar de la lutte contre le Mal des temps anciens. Mais il avait fallu remplacer le mot Mal car ce dernier avait été retourné dans un sens ludique par quelques générations de dynamiteurs jouisseurs donc il avait fallu trouver autre chose, l’important était que cela restât vague. La chose essentielle étant que la cible de la lutte doit se trouver partout pour que la lutte puisse s’immiscer partout aussi. Ça tombait bien car si un terroriste achète parfois du pain, il faut surveiller les gens qui achètent du pain. Peu importe d’ailleurs les boulangeries, puisque les terroristes peuvent marcher dans la rue, il faut surveiller toutes les rues tout le temps et nous revoilà sur le sujet du sombrero. Comme les caméras sont placées en hauteur, elles ne prennent un visage que si le passant ne porte pas de grand chapeau. Et comme quelques dealers et autres anarchistes avaient adopté l’attribut mexicain dans le but d’échapper à leur identification permanente par les ordinateurs de reconnaissance faciale, le gouvernement décida de l’interdire par un beau matin ensoleillé de printemps, comme il avait déjà interdit les rassemblements de plus de deux personnes, la critique du président de la République, la consultation de sites déviants ainsi que toute expression d’une opinion négative de nature à décourager les citoyens de s’unir contre le terrorisme et derrière leur leader bien-aimé. Je suis Charlie, de toute façon je n’avais pas le choix, et maintenant je suis chocolat.

Bon, tout cela était bien beau et pourrait faire le sujet de discussions à n’en plus finir, pas sur Internet évidemment puisque c’est surveillé, mais surtout ça ne mènerait nulle part et d’ailleurs nous ne pouvions plus bouger puisque nous avions laissé le piège se refermer sur nous. Citoyens, vous êtes des cibles potentielles donc vous devez vous prosterner, vous courber, sans chapeau en plus, devant vos camarades dirigeants car ils vous protègent, tout incompétents qu’ils fussent dans tous les autres domaines. Dans l’idéal ce devrait être le contraire, les camarades dirigeants devraient être la cible potentielle de citoyens consentant à ne pas leur couper la tête à la condition précise qu’ils soient compétents. Je ne comprenais pas comment on avait pu en arriver à une telle situation mais j’étais convaincu que je devais aider à en sortir.

Pourquoi moi était une question sans véritable réponse et comme j’étais le seul débatteur, le débat s’arrêta rapidement. Juste avais-je eu un peu de chance à croiser les bonnes personnes aux bons endroits, à connaître les bonnes choses dans les bonnes circonstances tout en ne laissant aucune trace dans les mémoires de la pieuvre, du moins l’espérais-je. Ainsi mon projet mijota jusqu’au moment où il put éclore. Nous sommes tous sous la menace du terrorisme sauf celui qui en profite le plus et qui est aussi celui qui en risque le moins dans sa voiture blindée et sa pompe républicaine. L’homme venait visiter ma province et j’allais inverser les choses.

La visite officielle de monsieur le Président de la République devait durer deux jours et être marquée de plusieurs événements soulignant la simplicité du personnage et l’unité de la Nation à la fois. Il devait en particulier visiter un tout nouvel éco-quartier peuplé d’assistés sociaux et situé loin du centre ville car l’élite locale n’avait eu aucune envie de les mettre plus près. Je connaissais l’endroit pour y être allé rendre visite à la mère d’un accusé. Etait-ce le préfixage éco- peut‑être, mais l’endroit avait ceci d’étonnant qu’il n’y avait pas de caméras de surveillance, simplement parce qu’on était trop loin du centre pour les dealers et qu’il n’y avait rien à voler à des gens aussi pauvres, même que la plupart n’avaient pas de voiture et devaient se taper une heure de bus pour aller dans leur agence d’intérim favorite. A part ça l’architecture était pas mal, des immeubles bas de trois niveaux avec quelques lierres déjà mourants sur les façades et de grandes pelouses qui ne passeraient pas l’hiver entre, ainsi que des arbres assez hauts car ils étaient déjà là avant, du temps où l’endroit était une caserne de l’Armée de Terre. Il arrivait jeudi, j’allai m’y promener le samedi précédent.

De retour de ma promenade, je fis le bilan de ce qui me manquait et de ce que j’avais à disposition. Bien sûr avais-je déjà le plus important, il eût été impossible de se procurer un tel objet dans un temps aussi court et c’était bien la possession d’une telle chose qui me désignait comme l’élu qui devait agir. Mais le reste n’était pas une mince affaire quand même, le diable sommeille dans les détails. Du fil de pêche d’abord et en grand quantité, acheté en différents endroits et toujours payé en liquide naturellement bien qu’aucun poisson n’en verrait la couleur. Des mousquetons également, de ceux que l’on utilise en alpinisme et non lors de révolutions, quoi que. Le reste j’avais, il n’y avait plus qu’à assembler.

La tâche fastidieuse du week-end fut le tressage des câbles à partir des dizaines de bobines de fil de pêche. J’avais vu à la télé au moins dix reportages sur le dernier fabricant de cordages en chanvre de Haute-Garonne donc j’avais une vague idée de ce à quoi pouvait ressembler une machine à toronner. J’en fabriquais donc une avec une roue de vélo dont j’avais retiré un rayon sur deux afin d’utiliser les traversées de jante correspondants pour y faire passer autant de gros boulons sur lesquels j’enfilais les bobines de fil de pêche. Quand je tournais la roue de vélo, les dix-huit fils s’entortillaient au passage dans un trou puis le tout revenait par une poulie de rappel sur un cylindre recevant le câble tressé. Quelques rouleaux de ruban adhésif transparent pour stabiliser et je recommençais en toronnant par neuf cette fois-ci les faisceaux de dix-huit, ce qui me faisait au final des câbles à cent soixante-deux brins, fois trois kilos de traction par brin cela ferait bien les cinq cents kilos de résistance totale, sur une longueur de trois cents mètres en quatre sections inégales terminées par de solides nœuds sur les mousquetons. J’étais content de moi, cela paraissait solide tout en restant assez discret. Dans la nuit du lundi suivant, j’allai enterrer la section trois sous la pelouse défraîchie de l’éco-quartier, selon un tracé qui me paraissait le plus plausible. Pour cette partie-là, j’avais monté des mousquetons en carbone-kevlar qui m’avaient coûté la peau des fesses mais qui resteraient invisibles aux détecteurs de métaux éventuels. Le tout ne se voyait guère sous la pelouse cabossée et la pluie effacerait le reste d’ici jeudi.

La tâche concrètement la plus difficile était de voler un camion. Dans les films de gangsters, la chose se fait sans façons en moins d’une minute. Si la scène dure plus longtemps, ce n’est plus un film de gangsters, c’est un film sur la banlieue et c’est en général chiant. Dans le monde réel, ça prend un temps fou pour qui ne sait pas faire. Et il me fallait précisément un camion de dix tonnes environ, à plate-forme avec des ridelles assez hautes mais pas trop. J’écumais donc la ville à vélo tout un mardi jusqu’à ce que je le vis, arrêté à un feu rouge.

La question de la violence dans l’action politique fut un grand sujet de débat dans les siècles passés. De Robespierre à Lénine en passant par la Rote Armee Fraktion, tout a été dit et le contraire aussi, je n’ai pas grand-chose à ajouter. Le chauffeur du camion non plus, qui descendit à la vue de l’orifice de mon calibre et me regarda partir sans un mot, après que j’eusse chargé mon vélo à l’arrière. J’emmenai le camion tout au bout d’un cul-de-sac de campagne tranquille puis retournai chez moi avec le vélo.

Mercredi, je fis une fois encore les essais sur les dispositifs de commande. L’invention du téléphone portable avait beaucoup simplifié le problème du contrôle à distance. En particulier, les détonateurs étaient devenus des périphériques d’ordinateurs comme les autres, au même niveau qu’une imprimante et même que c’est moins compliqué d’envoyer un signal de déclenchement que de sortir Les Noces de Cana en format A4. Tout allait bien niveau connectique, malheureusement je ne pouvais pas faire le test complet car je n’avais pas assez de gaz pour l’essai et le réel, qui de toute façon viendrait bien assez tôt, d’ailleurs le lendemain même.

Dans la nuit de mercredi à jeudi enfin, j’installai la section deux du câble en fil de pêche, à l’aide d’une arbalète puisque je devais la passer par-dessus une barre de trois étages de l’éco-quartier. Ce fut facile car je m’étais bien entraîné au maniement de l’instrument. La scène avait une touche moyenâgeuse, moi en Robin des Bois chez les pauvres et au milieu de ces bâtiments fleurant bon la maçonnerie traditionnelle garantie sans plastiques ni crépis chimiques. Une fois les extrémités en place des deux côtés de l’immeuble, j’enterrai les mousquetons dans les parterres de plantes médicinales que des concepts novateurs avaient fait atterrir là, m’efforçant également de cacher le câble au mieux dans le lierre des façades mais c’était à peine utile tant les fils de pêche sont fins et transparents, c’est fait pour leurrer le poisson et ça devrait leurrer le poulet aussi. Avant de partir, je repérai une dernière fois l’emplacement de la section trois toujours bien cachée sous la pelouse.

 

Enfin arriva le grand jour. D’abord et de très bon matin j’allai chercher à pédales le camion dans son chemin creux. Qu’il fût toujours à sa place prouvait qu’il n’était pas farci d’un mouchard GPS, mais au vu de la gueule du camion l’on pouvait s’en douter. Je retournai dans ma ferme pour l’y charger de l’objet déjà tout prêt, accompagné de ses cinquante gros melchizédecs de fer, cela prendrait deux bonnes heures et cela me fit un tour de reins. Enfin je conduisis le tout jusqu’au pied de l’immeuble de la nuit précédente, sur le bord extérieur de l’éco-quartier car à l’intérieur aucun véhicule n’est admis en temps normal et les jours de visite de président de la République encore moins. Je vérifiai une dernière fois les branchements électriques et pneumatiques, remis la bâche et enfin accrochai la section une, sortant de dessous la bâche, à la section deux déjà installée, par leurs deux mousquetons de sécurité que je revissai soigneusement. Enfin je repris mon vélo à l’arrière et le garai un peu plus loin. Il était pas loin de huit heures.

Le quartier écologique était déjà sévèrement farci de flics en tous genres alors que le Président n’arriverait que vers dix heures. Comme les lieux avaient été une caserne, il n’y avait qu’une entrée et pour entrer les supporters devaient se soumettre à la fouille et au détecteur de métaux. Ça tombait bien, je n’avais rien sur moi, à part mon téléphone, ni arme ni banderole donc je pus passer. Une fois à l’intérieur, j’inspectai l’endroit que certes je connaissais bien mais j’ignorais encore les aménagements faits pour la venue de l’hôte illustre. Il y avait une petite estrade avec un auvent pour le cas de pluie, des barrières métalliques dans tous les sens et quelques drapeaux tricolores claquant au vent frais d’avril. Première chose à faire, récupérer la section quatre de mon câble, d’une longueur de six mètres à peine, cachée dans un local à poubelles sélectives de la barre Malik Oussekine, tout au fond à gauche de l’ancien terrain de manœuvres. Deuxième chose, plus délicate, je devais raccorder les sections deux, trois et quatre. Le mousqueton de la section deux était sous les plantes médicinales, elles-mêmes bien malades, tandis que le plus extérieur de la trois arrivait à moins d’un mètre de là par-dessous la pelouse. Trop de flics partout, je devais attendre, le risque d’être aperçu faisant du jardinage était trop grand.

Une heure passa. Déjà les barrières métalliques longeant le parcours du Président se chargeaient de gens. Cela devenait ennuyeux car je devais à la fois finir les accrochages de mousquetons et prendre une bonne place sur les barrières. Tant pis, j’allais devoir tenter de creuser la pelouse de mes mains au vu de tous. Ce fut alors qu’un chant révolutionnaire, Asi se queda la clara, la entrañable transparencia, se fit entendre à fond de haut-parleurs grésillants. Ce n’était évidemment pas un essai de sonorisation pour le discours du Président mais un pétage de plombs d’un habitant du quartier. De tu querida presencia, c’était au balcon du deuxième étage de l’autre côté de l’esplanade, Commandante Che Guevarra, les flics se précipitèrent en direction du domicile de l’importun, un chômeur forcément vu le jour et l’heure. Il sera condamné pour outrage et mauvais esprit et je pus attacher les deux bouts de câble pour réenterrer proprement la jointure côté immeuble puis faire de même côté barrières. La chaîne fine allant de sous mon pied gauche au camion était maintenant continue, avec cinq cents kilos de résistance et un peu plus sans doute.

Il était neuf heures et j’étais à ma place, accoudé à une barrière. A peine distinguait-on dans la forêt de jambes la tresse de nylon pénétrant dans le sol juste derrière moi, si des gens marchaient dessus au mauvais moment ce serait tant pis pour eux. J’avais bien calculé mon coup, ils avaient mis ces barrières à mi-distance de la chaussée et de la pelouse, comme il était logique de les placer. Il n’y avait plus d’autre chose à faire que d’attendre, en adoptant un air heureux d’être là pour ne pas éveiller de soupçon chez les inspecteurs physionomistes qui patrouillaient de l’autre côté de la frontière d’acier galvanisé. Je crois que la police appelle ces tristes soudures de tubes gris des barrières Vauban, l’ingénieur français glorieux qui jadis protégea notre pré carré des invasions germaniques, italiennes, anglaises ou flamandes et qui aujourd’hui ne protège plus que les fâcheux de la foule. Le grand homme devait s’en retourner dans son mausolée tandis que je m’étirais les mollets sur ses barrières. Arriva dix heures, le Président était en retard.

Finalement il n’apparut que peu avant les coups de onze. Quelques vivats jaillirent de gens autour de moi, auxquels le Président répondit d’un salut le bras tendu mais pas trop. Des galonnés, des costardés l’entouraient pour lui faire visiter le quartier et lui expliquer tout ce que cela avait de beau et de novateur. Après une vingtaine de minutes à errer loin de nous, le groupe revint et le Président monta sur la petite estrade. Il nous fit un discours improvisé autant que vide de sens puis redescendit pour serrer quelques mains par-dessus les barrières. Une caméra le précédait à reculons, l’instant crucial se rapprochait à petits pas. Il n’était plus qu’à vingt mètres.

La question du timing était importante. Quand devais-je envoyer le gaz ? Le gonflage prend deux minutes pour les cinq cents mètres cubes. Mais il ne fallait pas gonfler trop tôt pour ne pas provoquer de réaction de témoins, ou pour que la réaction soit trop tardive. Un hélicoptère tournait dans le ciel, bien sûr qu’il verrait la chose, mais peut-être pas tout de suite. Okay, j’avais trop tardé, cela risquait déjà de ne pas être prêt quand il arriverait à ma hauteur donc je pris vite mon téléphone pour appuyer sur la bonne icône. Rien de suspect aux yeux des officiers des Voyages Officiels vu que presque tous les badauds avaient un téléphone en main. A priori c’était parti.

Le Président prenait son temps. Il aime les gens disait-on. Mouais, alors pourquoi les gens ne l’aiment-ils pas, ces ingrats ? Je notais en étirant le cou qu’il serrait presque toutes les mains qui se tendaient vers lui. Mais en parallèle, deux agents devant et deux derrière scrutaient la foule de leurs regards à faire peur. Ce serait coton et bien évidemment je me ferais prendre. L’anticipation du passage à tabac qui m’attendait ne devait pas me faire perdre le sens de la précision qui serait nécessaire à la seconde où ce clown teinturé se présenterait devant moi. Il n’était plus qu’à dix mètres. Je me baissai comme pour lacer une chaussure sauf que c’était pour ramasser l’extrémité de la section quatre. Dans une minute environ, le gonflage serait terminé.

Le Président progressait lentement. Il serrait des deux mains et disait quelques mots à quelques-uns. J’avais lancé le gonflage trop tard mais était-ce vraiment un mal ? S’il n’était pas tout à fait terminé au moment crucial, ce ne serait pas si grave. A cinq mètres, une femme africaine tendit son bébé. C’était du bon matériau pour le journal de vingt heures donc le politicien s’arrêta pour tapoter le front du petit noiraud. Ce dernier hurla d’horreur, le Président et son entourage rirent faux puis continuèrent. Deux mètres, je pouvais entendre sa voix. L’un des gorilles croisa mon regard un court instant, je devais avoir l’air calme et peut-être l’étais-je. Sans doute regarda-t-il aussi mes mains, que je tenais jointes posées sur la barrière, peut-être nota-t-il ma belle montre connectée dernier cri. L’anneau métallique était enfoncé dans ma manche gauche, le fil en ressortait sur le côté intérieur de mon avant-bras et je le tenais coincé entre mon coude et mon corps. Soudain, négligeant deux-trois mains qui se tendaient vers lui, le Président apparut devant moi et me regarda de ses yeux cerclés de noir.

J’avais répété le geste toute la semaine sur un mannequin de vitrine acheté il y a longtemps dans une brocante. Extraire du bout du pouce droit le bracelet de menottes de ma manche gauche, tenir fermement l’objet entre le bout des doigts et la paume, avancer l’autre main vers celle qui se tendait, saluer respectueusement en fixant le regard du potentat, avancer la main gauche sur son poignet, refermer le bracelet au besoin en s’aidant de la main droite, appuyer sur le déclencheur de la montre. J’entendis le cliquet de la fermeture puis tout alla très vite.

Un premier officier hurla en se jetant sur moi. Il me ceintura les bras au corps alors que nous étions encore séparés par la barrière. Je sentis le tube d’acier s’enfoncer dans mon ventre. Un autre flic sauta la barrière et se cassa la gueule en retombant sur les gens mais il se releva aussitôt pour me plaquer aux épaules. Le premier avait enjambé aussi donc les deux me tombèrent sur le râble. La joue collée dans l’herbe par le poids des mastards, il me revint des souvenirs de rugby. Autour de nous des gens criaient, ce n’était pas le Stade de France après un essai des Bleus mais ça faisait l’ambiance quand même. Des yeux je cherchai le ballon. Le ballon-sonde, qui devait être parti.

De tous côtés de ma tête, des pieds couraient. Des gens que la police faisait fuir. J’entendais des phrases confuses dites par des inconnus. J’essayais de faire le lien entre ces mots et la situation. J’avais l’impression que l’escorte du Président tentait de trouver la meilleure chose à faire, soit évacuer leur chef avec toutefois le problème qu’il était attaché par une demi-paire de menottes à un câble formé de fils de pêche tressés disparaissant dans le sol. En me contorsionnant la tête, je regardai dans la direction de l’immeuble derrière lequel j’avais garé mon camion, à deux cents mètres environ, ce qui paraît très loin quand le regard est bloqué à trois centimètres du sol.

J’avais volé ce ballon-sonde deux années en arrière. L’occasion faisant le larron, j’avais profité de ce que je connaissais des gens travaillant avec ces engins, Toulouse étant la capitale française de l’aéronautique et de sa science connexe, la météorologie. Dix mètres de diamètre d’une enveloppe aussi fine qu’une capote anglaise, donc un volume de cinq cents mètres cubes capable de lever cinq cents kilos à basse altitude ou d’emporter quelques kilogrammes d’instruments à plus de trente kilomètres dans la stratosphère. Pour le gaz de remplissage, j’avais dû me rabattre sur de l’hydrogène alors que mes amis météorologues, qui heureusement ne pouvaient pas se douter de mon larcin, utilisaient de l’hélium bien moins dangereux mais difficile à trouver en grande quantité pour un amateur et aussi beaucoup plus cher. Donc j’achetais petit à petit les cinq cents mètres cubes d’hydrogène nécessaires, en bouteilles normalisées de cinquante litres à deux cents atmosphères de pression, ce qui faisait dix mètres cubes l’unité donc il m’en avait fallu acheter une cinquantaine en tout. Ça m’avait coûté la peau des fesses et en plus je devais m’efforcer de rester discret, me faisant passer pour plombier polonais ou artiste sculpteur d’avant-garde selon les cas.

Bref, la documentation disponible sur ce type de ballon-sonde indiquait que sa vitesse ascensionnelle à vide était de cinq mètres par seconde au niveau de la mer, un peu plus quand il était gonflé à l’hydrogène et non à l’hélium comme habituellement. La longueur du câble reliant ce ballon au poignet présidentiel étant de trois cents mètres mais c’était plus compliqué car le câble passait par-dessus un immeuble d’une dizaine de mètres de hauteur, et en plus j’avais laissé un peu de mou sous la bâche du camion.

Un troisième flic m’écrasa les reins d’un genou pour me menotter à mon tour les mains dans le dos. Combien de temps depuis le largage du ballon et d’abord avait-il eu lieu ? J’avais testé cent fois le mécanisme dans ma grange, un gros poids qu’un électro-aimant fait tomber pour libérer simultanément le crochet retenant le ballon et la connexion du tuyau de gonflage à la valve à la base du ballon. Et il fallait aussi espérer que rien n’entraverait l’ascension des premiers mètres, comme par exemple la bâche qui ne se serait pas écartée ou le câble qui serait resté coincé dans quelque chose ou se romprait. Cinq cents kilos de force ascensionnelle et cinq cents kilos de résistance à la traction, c’était cohérent à la condition qu’il n’y eût pas d’aléas.

Je ne pouvais pas voir ce qu’il advenait du Président de la République. Ses gardes avaient dû le faire reculer mais évidemment la ligne de pêche gênait. Si tout marchait comme prévu, ils avaient encore quelques secondes pour couper ce fil. Alors j’entendis d’autres cris. Au raz de la pelouse, je vis à une trentaine de mètres le câble s’extraire rapidement des touffes d’herbes dans un bruit de carton que l’on déchire. Un des flics qui me serraient compris la situation et se releva pour planter son pied sur la trajectoire. Quand le câble jaillissant arriva sur lui, l’homme fut renversé comme le capitaine Haddock par un tapir dans Le Temple du Soleil. Deux secondes plus tard encore, je le sentis m’écorcher la jambe car j’avais un pied de l’autre côté. Les cris redoublèrent, les deux hommes qui me tenaient encore se levèrent pour courir vers l’origine du grabuge et je pus voir ce qui se passait.

Le Président était entouré de sa protection de courtisans et de soldats qui tous en étaient encore à se demander ce qu’il convenait de faire de cette menotte retenant leur maître. Mais le câble décollant comme tiré par un cerf-volant fou vint extraire le chef du groupe selon une ligne à quarante-cinq degrés pour le faire retomber aussitôt de l’autre côté des barrières qui moins de trente secondes plus tôt le séparaient de la multitude. Monsieur le président de la République passa devant moi en rampant à grande vitesse, poursuivi d’officiels tentant de le retenir par les pieds. Certains se jetaient sur lui pour faire poids et l’empêcher de marquer l’essai. Mais si l’on avait été au rugby, l’essai n’aurait pas été validé, on n’a pas le droit de ramper comme ça.

Le chef de l’Etat fut traîné au sol sur environ une cinquantaine de mètres. C’était bien calculé de ma part, je veux dire la longueur du câble, car il fallait d’abord sortir de dessous les arbres avant de monter, sinon il aurait pu se cogner aux branches. Un moment, on eut l’impression que les cinq types qui s’étaient jetés sur lui pouvaient l’empêcher de décoller. Mais ce n’était qu’une question de sinus et de cosinus. Car au fur et à mesure que le ballon-sonde et le président au plus bas des sondages se rapprochaient du même axe vertical, certes la force horizontale tendait vers zéro mais la force verticale devenait maximale, cinq cents kilos me tue-je à répéter. Tiré par son poignet droit qui devait lui faire un peu mal, l’homme se dressa à la verticale puis se souleva de la Terre. Cinq puis quatre puis trois puis deux hommes le retinrent mais tous lâchèrent prise plus ou moins longtemps après avoir décollé leurs pieds du sol. Horreur me dis-je alors, le dernier des janissaires resta accroché aux pieds du Président, monta à au moins dix mètres et je le perdis de vue à cause des arbres, en tout cas je ne le vis pas retomber.

 

Evidemment que les flics ne m’avaient pas oublié puisqu’ils me jetèrent dans un véhicule peu après la scène d’Ascension qui venait de se jouer au sein de l’éco-quartier inauguré par le Messie du jour. Ils me ruèrent à grands pimpons vers leur poste de police du centre-ville, endroit que je connaissais déjà pour être allé m’y enquérir de PV et autres complaintes. A l’arrivée je fus jeté dans un cachot en attendant les grands chefs à médailles qui devaient m’interroger de leurs sourcils fortement froncés. Cela ne tarda pas puisque dix minutes à peine après mon entrée dans les lieux, un uniforme que je reconnus de préfet vint me voir.

Enfant j’aimais bien les uniformes. Puis de moins en moins, juste celui des pompiers maintenant, mais qui est plutôt un vêtement de travail ou une sorte de tenue sportive. L’uniforme de préfet est un mauvais compromis. Il se veut sobre donc pourrait faire aussi costard de steward, sauf qu’on y a ajouté des pattes d’épaules et ornements de manches récupérés d’embrasses de rideaux du palais de l’empereur Bokassa. Enfin ça fait lourd mais je crois qu’on peut les enlever, pour permettre à son porteur de s’échapper incognito d’une préfecture assiégée d’agriculteurs en colère par exemple. En plus il avait oublié d’enlever ses médailles, vu qu’il revenait sûrement de la cérémonie à l’éco-quartier. Donc il avait vu de ses lunettes sans monture le léger trouble à l’ordre public que j’y avais causé, et donc il avait dû penser sous sa casquette enguirlandée qu’on en avait viré des préfets pour beaucoup moins que ça, comme quelques sifflets sortant d’une foule lointaine au passage du cortège présidentiel.

Le gars me regardait par-dessus des paupières inférieures légèrement remontées. Un nez fort dans un visage maigre descendait vers une bouche large et sans lèvres. Il avait l’air de sourire, mais comme une grenouille a l’air de sourire, c’est-à-dire qu’en fait il ne souriait pas du tout et ça pouvait se comprendre. Pour ma part je devais avoir l’air légèrement inquiet, non pour mon sort seul mais pour la suite des événements en général. Nous nous fîmes face une minute peut-être, moi toujours menotté dans le dos et assis sur une chaise où je ne pouvais m’adosser, lui debout ligoté ferme dans sa représentation de l’Etat. Puis il s’assit sur une chaise en face, un peu dans la même position que moi car il ne s’appuya pas contre le dossier, mais lui pouvait mettre ses bras devant et en profita pour joindre ses mains sur ses cuisses. L’homme continua de me regarder fixement pendant une autre minute, que j’occupai quant à moi à détailler les feuilles de chêne et d’olivier en fil d’or de la casquette, à moins que ce ne fussent du cannabis et de l’ortie, car fondamentalement je n’en avais rien à carrer de ce type.

–          Qui êtes-vous ? finit-il par me demander faute d’avoir trouvé mieux.

–          Mon nom ne vous dira rien, répondis-je banalement aussi.

–          Je ne vous demande pas votre nom, on le trouvera bien à temps, je vous demande ce que vous êtes.

–          Un citoyen.

–          Foutaises. Un citoyen ça applaudit le Président de la République et ça ferme sa gueule.

–          Ce fut pour moi un honneur de lui serrer la main.

–          Okay.

Nous n’étions pas seuls. Outre que j’avais été constamment surveillé par au moins six condés depuis mon arrivée, il y avait en plus autour de nous quelques gars en civil qui devaient être des commissaires, gens de la DGSI, directeurs de cabinets et toute cette crème. Le préfet enfin s’adossa et dévisagea à la cantonade. Puis il reprit :

–          Que voulez-vous ?

–          Mon téléphone.

–          Qui voulez-vous appeler ?

–          Mon ballon-sonde.

Le médaillé avait du coffre. Sous ses airs de potiche, il devait y avoir du lourd. Pas con, pas bégueule, conceptuel et pragmatique, agressif mais pas brutal, rapide mais consciencieux, tout ça perçait dans le regard, bref ma première impression était excellente, la France a quand même des élites.

–          Vous avez un contrôle sur votre ballon ?

–          Oui monsieur, mais il me faut mon téléphone.

–          Que comptez-vous faire ?

–          Je dois envoyer un SMS dans la prochaine demi-heure.

–          Sinon ?

–          Sinon le ballon explose.

Toujours très bien ce préfet. Pendant que l’assistance se pâmait d’horreur, lui réfléchissait. Le préfet se tourna vers un des types en civil et lui demanda :

–          Que contenaient les bouteilles du camion ? Hydrogène ou hélium ?

–          Hydrogène, monsieur le préfet, répondit le type. Hydrogène.

–          Okay.

Le préfet se tourna vers moi :

–          Je vous prie de m’excuser, je reviens vers vous dans quelques minutes.

–          Je vous en prie mais ne tardez pas.

Et il sortit de la pièce, accompagné de la totalité des hommes en costume.

 

Monsieur le Président de la République regardait le paysage. Son poignet droit lui faisait horriblement mal. La douleur s’étendait au coude et à l’épaule à la limite du déboîtement. Du paysage il ne voyait pas grand-chose vu qu’il avait perdu ses lunettes. Il commençait à avoir très froid et pour compléter le tableau, son officier de sécurité le plus anciennement à son service était suspendu à sa cheville gauche. Mouloud, un gars bien, un mastère d’on ne sait plus quoi, les Langues O puis les Services, karaté et tout le tralala aussi, une rigueur professionnelle irréprochable, une discrétion de tombe de pharaon, une vie privée où l’on n’avait jamais rien trouvé de louche et ce n’était pas faute d’avoir cherché, pas un poil islamiste évidemment, tout pour plaire dans la fonction. Il devait sous peu quitter la protection rapprochée du Président pour devenir chef du service intérieur d’une ambassade, la trajectoire parfaite pour ses vieux jours et le piston c’est permis dans le pays. Sauf que sa condition s’était terriblement dégradée en deux secondes, faute d’avoir lâché le pied du Président pendant qu’il en était encore temps, avant d’atteindre les dix mètres d’altitude environ. Il voulait s’élever dans la vie, le Président l’y aiderait, mais il n’avait pas vu ça comme ça.

Les deux hommes avaient décollé depuis trois minutes peut-être et devaient se trouver à mille mètres au-dessus de la campagne gersoise. Mouloud pouvait évaluer l’altitude car il avait aussi fait du parachutisme. En avoir ou pas, c’est particulièrement vrai d’un parachute. Vingt mètres ou mille de toute façon le résultat est le même, juste qu’on a du temps pour penser à plus de choses dans le second cas. Mais Mouloud décida qu’il ne lâcherait pas. Le Président ne s’était pas rendu compte de suite de sa présence malgré l’évidence du poids. Puis Mouloud hurla lorsqu’il comprit la situation, vers les cent mètres. Après un temps d’hésitation, le Président cria « C’est toi, Mouloud ? ». Puis le Président demanda « Mouloud, que se passe-t-il ? » car il ne réalisait pas vraiment le problème. Mouloud lui expliqua avec tout le respect dû et tout le sang-froid possible en la circonstance. Alors le Président leva la tête pour tenter d’apercevoir le ballon dont avait parlé Mouloud. Sans ses lunettes il n’y voyait guère. Très vite le fil fin se perdait dans le bleu du ciel et le ballon de mylar transparent n’était qu’une zone floue loin au-dessus de sa tête.

 

Mon attente ne dura pas très longtemps puisque le groupe revint dans le quart d’heure. Le préfet tenait à la main mon téléphone et ma montre connectée, dont on m’avait dépouillé dès l’arrivée au poste. Il se rassit au même endroit, de mon côté je n’avais guère bougé.

–          Votre ballon-sonde, c’est le 06 79 55 38 34 ? Vous l’avez appelé soixante-douze fois dans la semaine.

–          Bonne pioche. C’était pour les tests au sol.

–          Nous l’avons localisé, cela correspond à la position de notre hélicoptère. Je vous laisse envoyer votre SMS. Enlevez-lui ses menottes.

Ce que je fis. Le texte d’abord puis le destinataire, je fais toujours les choses dans cet ordre, c’est plus prudent. Si je me trompe et que c’est mon ex qui reçoit le mot, ce n’est pas bien grave.

–          Brachycéphalopode ? demanda le préfet.

–          Brachycéphalopode, monsieur le préfet, répondis-je.

–          En quoi consiste votre système ?

–          A la base du ballon, il y a un tout petit trou, bien trop petit pour que la perte de gaz soit significative. Mais en face du trou il y a une bougie, de moteur de voiture, avec de quoi l’alimenter en tension. Toutes les demi-heures le circuit se referme, sauf si le téléphone envoie un contre-ordre. Prochaine velléité d’étincelle dans une demi-heure donc.

–          Ça nous laisse le temps de vous faire dire le mot suivant, on a l’habitude d’obtenir des réponses à nos questions.

–          Si vous envoyez un mauvais mot, le ballon explose tout de suite.

–          Okay.

 

L’ascension se poursuivait mais seul Mouloud pouvait en être conscient. On devait maintenant être à trois mille. Depuis le départ quasiment, ils étaient suivis par l’hélicoptère de la gendarmerie, celui qui surveillait de haut la foule pendant que lui-même l’épiait de près. Mouloud pouvait voir les quatre gendarmes du bord, deux pilotes et deux tireurs d’élite tenant leur fusil sur les genoux. L’hélico ne pouvait bien sûr pas s’approcher d’eux sous peine de sectionner de son rotor le câble qui les soutenait. Le Président geignait mais il avait l’avantage d’être bien accroché alors que Mouloud tenait sa vie entre ses mains par le truchement de la chaussette présidentielle gauche qui n’arrêtait pas de glisser vers le bas. L’officier se dit qu’il ne devait pas rester dans cette position car ses mains lâcheraient bientôt. Il voyait bien l’hélico tournoyer mais ils ne pouvaient pas faire grand-chose à part regarder en attendant un ordre. Donc il entreprit d’escalader le Président avec pour objectif de s’installer sur ses épaules, où il serait plus à l’aise pour évaluer la situation.

 

–          Pourquoi avez-vous fait ça ?

–          Je vous le dirai quand vous aurez compris que vous ne pouvez rien faire.

–          Nous avons des options, nous les étudions.

–          Vous ne pouvez rien faire.

–          Nous pouvons dégonfler le ballon pour le faire redescendre.

–          Si le ballon redescend trop vite, le 06 79 55 38 34 envoie l’étincelle.

–          Nous pouvons brouiller votre GPS.

–          Pareil, si plus de signal, alors sabordage.

–          Supposons que nous ne pouvons rien faire, pourquoi avez-vous fait ça ?

–          Je vous le dirai en temps voulu. En attendant, il faut que j’envoie un nouveau SMS.

–          Ah oui j’oubliais, voici votre téléphone.

–          Merci monsieur le préfet.

–          Achondroplasie ?

–          Achondroplasie.

–          De quoi s’agit-il, juste pour ma culture ?

–          C’est la maladie des nains.

Et le préfet remit mon phone à son acolyte.

 

Mouloud était un gars très sportif. Le genre de ceux qui font cinquante tractions de bras en s’accrochant du bout des doigts à un chambranle de porte. Sinon il aurait déjà lâché depuis longtemps. A propos, ils avaient continué de monter pour n’être pas loin des quatre mille maintenant, l’altitude où l’on saute en parachute habituellement. Il se souvenait de sauts depuis des Pilatus de l’armée française, quand il restait quelques secondes appuyé sur le montant soutenant l’aile droite, dans le bruit et les gaz du gros moteur de l’avion suisse.

–          Monsieur le Président, pouvez-vous écarter les jambes, s’il vous plaît ?

–          Qu’est-ce que tu dis, Mouloud ? hurla le président en guise de réponse.

–          Les jambes, monsieur, écartez les jambes !

L’hélicoptère était toujours assez près d’eux, les gênant dans leur dialogue avec son bruit de monstre tachycardique. Tant pis, le Président n’entendait pas ou ne comprenait pas, il ferait sans. Pour escalader son chef, Mouloud, toujours suspendu au pied gauche, cherchait à coincer l’autre pied entre ses genoux. Mais comme les pieds présidentiels étaient trop rapprochés, la manœuvre était difficile. Il devait à la fois se hisser en repliant les bras et remonter ses jambes jusqu’à hauteur de cette chaussure droite. Après quelques essais à grands cisaillements de jambes, il parvint enfin à serrer la chaussure de son hôte solidement entre ses genoux, comme il avait appris en judo à faire des étranglements de cous de la même manière, sur les tatamis c’est pour finir le combat, dans le Service Action c’est pour tuer. Une fois les bras soulagés d’une partie de son poids, Mouloud put se hisser le long de la jambe gauche, tirant sur le tissu mais pas trop car le pantalon risquait de descendre ou de céder, enserrant le vieux mollet d’obèse de toute la force de ses mains, griffant, ahanant jusqu’à attraper la ceinture sous le veston, ce devait être une Yves Saint Laurent d’après ses souvenirs, pour le prix ça devrait résister, cuir et fermoir, aux cent kilos de Mouloud.

 

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